Petite anthologie du [kekseksa]

Written by Gregory Haleux

PETITE ANTHOLOGIE

DU

[kekseksa]

DE HUGO A KENO

1862-1962

 

Et voyant que le boulanger, après avoir examiné les trois soupeurs, avait pris un pain bis, il plongea profondément son doigt dans son nez avec une aspiration aussi impérieuse que s’il eût eu au bout du pouce la prise de tabac du grand Frédéric, et jeta au boulanger en plein visage cette apostrophe indignée :
— Keksekça ?
Ceux de nos lecteurs qui seraient tentés de voir dans cette interpellation de Gavroche au boulanger un mot russe ou polonais, ou l’un de ces cris sauvages que les Yoways et les Botocudos se lancent du bord d’un fleuve à l’autre à travers les solitudes, sont prévenus que c’est un mot qu’ils disent tous les jours (eux nos lecteurs) et qui tient lieu de cette phrase : qu’est-ce que c’est que cela ? Le boulanger comprit parfaitement et répondit :
— Eh mais ! c’est du pain, du très bon pain de deuxième qualité.

Victor Hugo, Les Misérables, quatrième partie.
Pagnerre, 1862. p.308-309

 

Des déjections électriques !!!!!
Keksekçà ?

Pantagruel in Le Tintamarre, 6 mai 1883.

 

Faudra-t-il plutôt croire le croquant qui vous volera quand il en aura l’occasion et vous bramera en ouvrant des yeux en accent circonflexe ? « La conscience ! keksekçà ? »

Albert Marot in Le Tintamarre, 4 novembre 1883

 

La plupart des élisions de syllabes ont des conséquences moins graves. Elles résultent le plus souvent d’une négligence de prononciation, comme dans le légendaire Kekcekça ? — Qu’est-ce que c’est que cela ? Il suffit, pour éviter ces fautes, de mettre moins de précipitation en prononçant ses phrases.

Ermance Dufaux, Le savoir-vivre dans la vie ordinaire et dans les cérémonies civiles et religieuses.
Garnier Frères, 1883. p.136

 

Quand on hésite sur l’orthographe d’un mot, l’écrire comme il se prononce. A la bonne heure ! Plus de grammaire, plus de syntaxe, plus de recherches longues et fastidieuses, en cas de doute, dans le dictionnaire. Vous avez à écrire l’exclamation de Gavroche, dans les Misérables, en apercevant l’éléphant de la Bastille : « Qu’est-ce que c’est que ça? ». Et, après un instant d’hésitation, vous écrivez bravement : Kekseksa. Quelle admirable simplification ! J’ai eu jadis à mon service une cuisinière fantaisiste qui, lorsqu’elle ignorait l’orthographe d’un plat, le représentait par un joli dessin, ce qui illustrait son livre d’une manière très réjouissante. Un jour, elle avait écrit kanar et avait entouré ce mot d’une ligne de points…………… Et comme je demandais le secret de cet hiéroglyphe, elle me répondit triomphalement : « Monsieur, c’est un canard…. aux petits pois. »

Gérome in L’Univers illustré n°1662, 29 janvier 1887. p.67

 

il vaut mieux en appeler à l’opinion publique.
L’opinion publique, keksékça ? ai-je répondu.

Quolibet, in Le Tintamarre, 25 septembre 1887.

 

Le commissair’, le lendemain,
Nous dit : « Keksekça! cré coquin !
J’ vous coll’, cré nom de nom !
Un’ bonn’ contravention! »
V’là c’que c’est que d’ manger
Not’ brav’ général Boulanger!

Jules Jouy, « En revenant de la foire » in Les Chansons de l’année.
Bourbier et Lamoureux, 1888. p.173

 

Scrongnieu ! keksekça ! condamné n’méro un !
Vous avez donc la moell’ pourrie !

Jules Jouy, « L’Alignement » in Chansons de bataille.
C. Marpon et E. Flammarion, 1889. p.28

 

On s’est quelquefois amusé à noter les abréviations du langage courant : on est surpris, quand on le fait, de la différence qu’il y a entre le son réellement émis et le son perçu : dans kekseksa, nous comprenons et entendons qu’est-ce que c’est que cela.

Paul Souriau, La suggestion dans l’art.
Alcan, 1893. p.173

 

« Toute discussion religieuse, politique ou individuelle est formellement interdite. »
Une discussion individuelle? Keksekça, comme dit l’autre.

in L’Auto-Vélo, journal comique et illustré n°35, 9 janvier 1898. p.4

 

Ah! Et puis… et puis quoi donc ? Ah! j’voulais te demander… Kékcékça, lord Steemboot… J’voudrais paraître renseigné.
— Peuh ! C’est quelque chose dans le genre du prince de Sagan et de William Morris, half and half.

Willy, Un vilain monsieur !
H. Simonis Empis, 1898. p.116

— Titre d’un chapitre : L’amour, Kékcékça.

Willy, A manger du foin: souvenirs d’il y a vingt cinq ans. 1899. p.124

 

J’entends un gamin qui demande — tenez, là-bas !… celui qui semble avoir passé son nez sous le fond d’une poêle à marrons, et qui probablement consacre sa belle jeunesse à récurer les chaudrons — je l’entends qui demande : « Kéksékça, qu’un os carpien et métacarpien ?… Est-ce un os de poisson ? »

Almanach de Bibi-Tapin pour 1899, par l’auteur des « Mésaventures de Bistrouille« .
A.-L. Guyot. p.102

 

Le régime plébiscitaire
Keksekça, dis, mon pauvre vieux ?

Quolibet, « Le Régime plébiscitaire »
in Le Tintamarre, 26 novembre 1899.

 

Examinons encore : Qu’est-ce ? que c’est que ce a ? (a=ai). Qu’est-ce ? que sexe a ? Qu’est-ce que sait que ça ? mot à mot : Qu’est-ce qui sait quoi j’ai ? Devenu enfin : Qu’est-ce que c’est que ça ? Qu’ai ? Que sexe a ? Que exe est que ça ? Kekseksa ? On voit que notre question la plus fréquente fut créée alors que l’apparition du sexe troubla l’esprit des grenouilles.

Jean-Pierre Brisset. La Grande Nouvelle. [1900].
Œuvres complètes. Les Presses du réel, 2001. p.640

 

Mais la République, mais la patrie, kékcekça, comparées aux bénéfices de quelques milliers de trafiquants à l’étranger qui se trouveraient entamés par la clôture, pour insuffisance d’actif, de la faillite tonkinoise.

Jules Guesde. État, politique et morale de classe.
V. Giard & E. Brière, 1901. p.247

 

Justement le prince se reposait à l’ombre d’un tussilage. ll vit arriver un courrier: « Oh! oh! s’écria-t-il éloquemment… kekcekça? » (ce qui dans la langue gnômique signifie : qu’est-ce que c’est que ça?).

Le petit français illustré: journal des écoliers et des écolières:
Volume 14, n° 2. 1902. p.492

 

Que de syllabes, de petits mots même, pour ainsi dire escamotés ! Qu’est-ce que c’est que cela devient kekseksa. Certains auteurs conseillent de présenter aux débutants les phrases parlées comme des blocs, des touts indivis, sans les analyser, sans les disséquer (Prendergast).

Henri Duméril, « La Langue parlée »
in Mémoires de l’Académie des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse.
Dixième série, tome II. Imprimerie Douladoure-Privat, 1902. p.99

 

Qu’est-ce que c’est que ça ? (Papapa prononçait Kexexa) dit le roi en sautant dans son lit, furieux, les yeux hors de la tête.
Papapa bondissait sur son fauteuil, prenant un air qui nous faisait reculer d’épouvante.

« C’est moi.
— Qui ça, toi ?
— Une puce.
— Ah ! tu vas voir ! »
Et Papapa se levait menaçant, faisant le moulinet avec ses bras, et les coussins, les couvertures du roi semblaient voler en l’air. Papapa soufflait de rage ; il était terrifiant.

Georges Victor Hugo, Mon Grand-Père.
Calmann-Lévy, 1902.

 

un président de section qui ne voulait entendre parler ni d’art ni d’artistes, encore moins de Lettres ou de gens de lettres, et à toutes les raisons qu’on lui exposait répliquait :
« Mais kékcékça, un homme de lettres ? Je ne comprends pas… C’est comme si vous me parliez d’une société de pianistes ou de joueurs d’orgue…

Albert Cim, Le dîner des gens de lettres, souvenirs littéraires.
E. Flammarion, 1903. p.15

 

nul mieux que lui n’a su remettre à leur place, à leur vraie place, ces « ronds de cuir » qui se plaisaient à considérer les littérateurs à peu près comme des gens sans aveu et les traitent de « kékcékça » ; tous ces intrigants ou ces repus de la politique, « toutes ces médiocrités bruyantes et ces viles ambitions exaspérées….

Albert Cim, Le dîner des gens de lettres, souvenirs littéraires.
E. Flammarion, 1903. pp.88-89

 

J’aperçois un agent,
Puis, deux agents, puis, trois agents,
Puis, deux cents, trois cents, puis, cinq cents.
Je me dis : — « Keksékça […] »

Henri Fursy, « Sermon à main armée »
in Essais rosses d’histoire contemporaine. Ollendorff, 1905. pp.34-35

 

Beuh!… Beuh!… Kékcekça?
— C’est une correspondance, vous le voyez bien!

St. Nicolas: journal illustré pour garçons & filles: Volume 30. 1908. p.411

 

Connaissez-vous la L. D. D. C. L. C. I. D. C. F?
— Keksekça ?
Tout bonnement, la Ligue des dames de Leipzig contre la croissante immoralité du costume féminin.

Pick-Me-Up in Le Rire n°346, 18 septembre 1909.

 

Citoyen, lui demande un de ces tortionnaires, donnez-nous votre opinion sur la dette flottante.
La dette flottante, keksekça ?

Pick-Me-Up in Le Rire n°375, 9 avril 1910.

 

Dès que sa tête crépue apparaît à l’entrée de la salle, surmontant une invraisemblable redingote caca d’oie, une rumeur s’élève des banquettes.
Ah ! Oh ! Keksekça? disent les bleus.

Victor Méric in La Barricade n°3, 18 juin 1910.

 

Quant aux Honnêtes Gens, ces bons honnêtes gens, ces fameux honnêtes gens qu’il s’agit de défendre, ah ! permettez-nous de rire un peu. Keksekça, les honnêtes gens ? Qu’entend-on par là ?

Victor Méric in La Barricade n°9, 30 juillet 1910.

 

Notre policier s’approcha de ce petit monsieur et, montrant du doigt la rosette écarlate, demanda d’une voix sévère :
— Kekseksa ?

Pick-Me-Up in Le Rire n°417, 28 janvier 1911.

 

Poilot, au coin d’une allée, tomba en arrêt devant un extincteur dernier modèle. « Keksekça? » lit-il, très intrigué…

Dam in La Vie en culotte rouge n°505, 8 octobre 1911

 

Un peu au hasard, Ribière, député de l’Yonne, lui demande si son prédécesseur, le célèbre Cruppi, a protesté contre l’occupation par l’Espagne, de Larache et d’El Ksar. Larache? El-Ksar? Keksékça?

Pegan in Les Hommes du Jour n°200, 18 novembre 1911.

 

Peuh ! dit-elle en maniant ce pauvre bijou… Keksekça ?
— Un cadeau qui vient du cœur, mon petit chou.
— Du Caire ?
— Non, du cœur.

Pick-Me-Up in Le Rire n°462, 9 décembre 1911.

 

Avec plaisir… Que verrai-je ?
— Ma fille danser la Frissonnette.
— Keksekça?
— La danse nouvelle.
J’eus l’envie de fredonner :
C’est la danse nouvelle,
Mademoiselle,
La dans’ qui vous aguiche,
C’est la mattchiche!

Pick-Me-Up in Le Rire n°468, 20 janvier 1912.

 

Tournez-vous ! ordonna le Boche.
Sania obéit, en se disant que, somme toute, la pudeur y gagnait.
Tarteufel ! Kekseksa ?
La pauvre femme sentit un doigt impérieux — le doigt de l’Empire ! — toucher son postérieur qui, aussitôt, eut la chair de poule…

Pick-Me-Up in Le Rire n°95, 9 septembre 1916.

 

Souple, la baguette de bois court sur le coloris des images qu’elle fixe un instant. « Kéksèksa ? » demande la voix cuivrée et légèrement gutturale des petites ombres qui professent. Et la classe de répondre avec un ensemble parfait : « Ça c’est un monsieur… ça c’est un chat… » Echo semblablement cuivré et guttural, mais moins grave et ponctué par la note criarde de ces gosiers d’enfants.
Le « kéksèksa » interrogateur résonne encore à mon oreille, alors qu’en compagnie de M. Ismet je fais le chemin du retour à travers l’abandon silencieux du jardin.

Pierre Frey, « A l’ombre des minarets »
in Foi et vie, septembre 1918. p.254

 

Le père de qui ?
— D’Athanase.
— Keksekça… Athanase ?

Julien Mauvrac, Le Cabaret de la Morue verte.
Collection gauloise, 1919. p.29

 

Par-ci, par-là dans le cortège, quelques charlatans : le Zoulou, avaleur de feu ; l’Homme à la tête de chien ; KéKséKsa, la femme sauvage qui dévore des poulets vivants ; Charlot, monté sur des échasses.

Blaise Cendrars, La fin du monde filmée par l’Ange N.-D.
Éditions de la Sirène, 1919. p.7

 

k est employé dans certains cas pour simplifier l’orthographe phonétique. Ex. : qu’est qu’c’est qu’ça ? devient kékséksa ?

Henri Bauche, Le Langage populaire. Grammaire, syntaxe et dictionnaire
du français tel qu’on le parle dans le peuple de Paris
. Payot, 1920. p.33

 

Après avoir téléphoné à l’Elysée, l’introducteur des ambassadeurs revint et se mit à lire à Sa Majesté le menu du dîner de gala :

LA TORTUE CLAIRE A LA FRANCAISE
LA CREME DU BARRY.

— Kekseksa ? interrompit la reine…
— Des potages, majesté.

Clément Vautel, « Robinsonnette dans son île »
in Je sais tout, juin 1921. p.757

 

Crapotte. Kéksekça, Crapotte?

Espiègle in Les Modes de la Femme de France n°320,
26 juin 1921. p.7

 

Sur nos talons, quelque chose de noir grognait obstinément, dans le crépuscule. Sans se retourner, Detaille interrogea:
— Kèkcèkça ?

Willy, Souvenirs littéraires …et autres.
Éditions Montaigne, 1925. p.66

 

Et d’abord, kekcekça, que cet Abraham ? Méfiance.

Fagus, lettre à Mme Dussane du 24 février 1926
in 50 Lettres de Fagus. Le Divan n°189, octobre-novembre 1934. p.272

 

L’embêtant, c’est que tu pourras guère lui dire… d’où ça te vient… (le Nordique met le fruit dans sa musette et tire de celle-ci un paquet qu’il déplie) Kékcékça ?…
Le Nordique — Joujou… rapporter à petite sœur. Beaucoup rire avec.

Simon Gantillon, Maya: spectacle en un prologue, neuf tableaux et un épilogue.
Société des spectacles, 1927. p.51

 

Schrameck lève son museau et fait l’étonné, celui qui ne sait pas, comme tout à l’heure M. Paul Guichard.
La rue Hermel ? Kekcekça ?

Charles Maurras, La lettre à Schrameck.
Éditions du Capitole, 1929. p.149

 

J’ai dit à ma femme : — Tu sais que ta bonne tombe sous le coup de la loi des assurances sociales ? — Keksekça ? — Tu ne lis donc pas les journaux ?

Clément Vautel, « J’assure ma bonne socialement »
in Cyrano n°312, 8 juin 1930

 

qui n’aiment pas le bluff — sans doute parce qu’ils n’ont vraiment pas l’air de gens capables de le digérer — ont recours aux statistiques du « Dépôt légal »… Le Dépôt légal ? keksekça ? où trouve-t-on ça ? Et qui ira jamais consulter ça ?

Clément Vautel, « Le Bluff sur le toit »
in Cyrano n°333, 2 novembre 1930

 

La reconnaissance des femmes est précieuse.
« La reconnaissance des sens? »
Kekcekça?

Maryse Choisy, Le tour du cœur en 80 battements:
essai de stratégie amoureuse à l’usage de toutes les femmes
.
Librairie Bernardin-Béchet, 1931. p.164

 

Ils en ont assez des « niveleurs, des fauteurs de désordre, des anarchistes ».
Les anarchistes ? Kekceksa ?
Allez le demander à Brissot.

Armand Narboni, « Robespierre and C° » in Non ! Bulletin mensuel de propagande et d’action.
Organe central des Jeunesses socialistes d’Algérie
n°3, janvier 1933.

 

Mais il n’y a vraiment aucune prise possible avec l’homme qui déclare :
— La patrie ? Keksekça ?

Clément Vautel, « Démission des Français »
in Cyrano n°423, 24 juillet 1933

 

Dagana ? Kekcekça?
— Sénégal, répondit-il, laconique.

Roger-Francis Didelot, Fatou peau noire.
Aillaud, Bastos, 1942. p.121

 

Une voix cria :
— « de Gaulle ? « Kekseksa » ?… On s’en f… »

Henri de Kérillis, Français, voici la vérité.
Éditions de la Maison française 1942. p.26

 

Il y a là, méticuleusement rangées, quelques petites boîtes du genre boîtes à cigares, en métal doré, avec plaques, de la quincaillerie soignée.
— Kekcekça?

Bertrand de Chézal, A travers les batailles pour Paris (Aout 1944)
Bonneval-Chartres-Paris
. Plon, 1945. p.99

 

L’Artistocratie , kékcékça? dut se demander l’eunuque de service préposé à la garde de la vertu d’Anastasie. L’artistocratie, connais pas. Il y a sûrement une erreur. Ah ! ces typos, toujours les mêmes. Retranchons le / qui sent l’anarchie.

Gérard de Lacaze-Duthiers, Sous le sceptre d’Anastasie.
Amis de l’Artistocratie, 1948. p.19

 

—  — Des quoi ?
— Des complexes.
— Kéxé ?
Ainsi Monsieur Presle écrivait-il parfois le français afin de mieux m’en faire sentir les subtilités de l’orthographe. Naturellement, en anglais, je prononçai simplement la syllabe :
— Ouatt ?

Raymond Queneau, Journal de Sally Mara. [1950]
in Les Oeuvres complètes de Sally Mara. Gallimard, 1962. p.23

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