Entretien avec Frédéric Forte autour de ses 33 sonnets plats

Written by Gregory Haleux

 

Frédéric Forte a eu la grande gentillesse de répondre à ces quelques questions sur ses 33 sonnets plats, parus récemment aux Éditions de l’Attente.
Reproduisons d’abord le premier de ces sonnets :

 

c’est une boîte se souvenir · ou faire tapisserie · certains mangent des pâtisseries · moi je voudrais revenir / animal · la réincarnation après tout · elle doit avoir un drôle de goût · à dos de cheval / mais regarder sous les jupes · est impossible · et les stéréotypes · sont insolubles / alors je passe de longues vacances dans un tunnel · ça m’apprendra à vouloir faire mon surnaturel

 

La particularité de tes sonnets est d’abord visuelle : on ne reconnaît pas d’emblée le sonnet, cela ressemble à de la prose. Mais à lire, on s’aperçoit vite que la métamorphose du sonnet n’est pas si excessive et que la construction est souvent presque classique. Peux-tu d’abord nous dire quels sont tes rapports avec cette forme si traditionnelle qu’est le sonnet et pourquoi l’avoir choisi comme terrain d’expérimentation ?

Sans vouloir te contredire (!!), je dirais que je ne considère pas le sonnet – comme toute autre forme « ancienne » – du point de vue de sa dimension traditionnelle. Bien sûr, cette « tradition » existe, mais ce qui m’intéresse avant tout, dans une forme, c’est son caractère potentiel. Finalement,  à mes yeux, une forme n’est ni traditionnelle ni moderne, elle est potentielle. C’est-à-dire qu’à partir de ce même objet qu’est le sonnet, des poètes comme Ronsard, Baudelaire, Mallarmé ou Roubaud, chacun à leur époque et chacun dans leur « langue », vont composer des poèmes pleinement personnels, pleinement de leur temps, regardant tout autant vers le passé que vers le futur, et qui, du point de vue formel, ne font que confirmer encore et encore la grande plasticité du sonnet et sa capacité à accueillir (à engendrer) du nouveau, en un mot, sa Potentialité.
Il me semble intéressant que l’inventivité d’un poète, parfois (mais on n’est pas obligé, hein ?), se mesure à une forme qui a déjà fourni tant de poèmes par le passé. C’est en partie ce que j’ai voulu faire cette fois-ci. Le lecteur (le lecteur « idéal ») reliera ces nouveaux sonnets à tous ceux qu’il a pu lire auparavant et, en même temps, y verra du différent. C’est souhaitable. Parce que s’il ne voit rien de différent, s’il n’entend pas une voix particulière – ce qui fait qu’un sonnet de Verlaine est du Verlaine et un sonnet de Queneau, du Queneau, par exemple – ça veut peut-être dire que le poème n’a pas beaucoup d’intérêt !

 

Le sonnet se présente généralement comme un bloc rectangulaire vertical occupant une bonne partie de la page. Avec toi, c’est horizontal, de peu d’épaisseur. Là semble d’abord résider la platitude indiquée par le titre. Mais il y a aussi une potentialité à rebours, qui ramène à la forme plus commune : on est tenté de déplier, déployer ton sonnet, en traduisant, au moins mentalement, tes points et barres obliques séparant vers et strophes par des retours à la ligne et des blancs. Comment envisages-tu, en écrivant, cette potentialité-là ?

Je n’ai pas consciemment pensé à leur déploiement en écrivant les poèmes mais c’est une belle image ! Et c’est vrai qu’ils jouent avec l’aspect dimensionnel de la forme-sonnet.
D’un côté, les présenter à plat, c’est-à-dire, idéalement, sur une seule ligne – qui se transforme dans le livre en un bloc ressemblant à de la prose – c’est ironiquement leur refuser dans un premier temps le statut de Sonnet (avec un grand S) puisque, comme tu l’as dit, un sonnet est habituellement « vertical ». Ils n’accèdent pas à la verticalité, donc. La raison en est que j’ai voulu les composer en travaillant uniquement sur la rime, laissant de côté la métrique. Ils sont rimés mais pas comptés (j’imagine que nous en reparlerons). S’ils ne possèdent pas cette « colonne vertébrale » métrique (octo-, décasyllabes, alexandrins ou autres), ils ne parviennent pas, typographiquement, à se redresser ! Il y a un rapport naïf à la forme qui, déjà avant les mots eux-mêmes, passe par sa présentation sur la page.
D’un autre côté, les vers, les strophes, comme tu l’as souligné, sont marqués – respectivement par des points (ou plus précisément des « middle dots ») et des slashs. Le lecteur peut donc identifier la structure des poèmes et effectuer mentalement – maintenant que j’y pense, tu as raison – le déploiement dont tu parles. [Ce qui me fait songer que ces poèmes sont un peu comme les aliments lyophilisés qui retrouvent leur aspect initial une fois trempés dans l’eau. L’eau, dans notre cas, c’est l’esprit du lecteur !]  Bref, même si le mot n’apparaissait pas dans le titre, un lecteur de poésie (idéal toujours) pourrait les reconnaître.
Et lorsque j’ai écrit ces poèmes, j’avais en tête les réflexions de Jacques Roubaud sur la très grande variabilité de la forme-sonnet. Sur l’aspect visuel d’abord : on ne présente pas les sonnets, sur la page, de la même façon au XVIe et au XIXe siècles, ou d’un pays à un autre. Et, plus important, sur ce qu’on appelle les formules de rimes (tout le monde connaît ABBA ABBA CCD EED par exemple) qui, même au sein des trois grands types de sonnets (français, italiens et « shakespeariens »), connaissent des variances plus ou moins notables. J’avais donc envie de jouer avec ça : naïveté d’un côté et connaissance (toute relative) des formules de rimes de l’autre. Pour moi, la potentialité de ce petit livre se situe dans cette dialectique-là.

 

On voit bien en effet, au niveau des rimes, que cette variabilité t’intéresse : je relève pas moins d’une quinzaine de combinaisons, toujours dans les six derniers vers (quand les quatrains sont généralement en ABBA ABBA). Peux-tu nous en dire plus sur ce plaisir de la combinatoire ? Dans ta recherche de platitude, n’aurais-tu pas pu te contenter de systématiser la rime plate (présente dans un seul de tes sonnets) ?

Ma recherche de platitude n’était pas si absolue ! Et disons que le plaisir de varier les plaisirs l’a ici largement emporté… Plus que du « plaisir de la combinatoire » (qui m’intéresse beaucoup par ailleurs), je parlerai plutôt ici d’un plaisir comparable à celui du collectionneur. Quand je compose mes poèmes, je me sens proche de l’enfant qui ramasse des coquillages sur la plage, du vieux monsieur qui accumule dans des classeurs des timbres venus du monde entier, ou de l’entomologiste qui travaille sur une certaine famille de coléoptères. Il y a une excitation à trouver dans le même du différent, de constituer un ensemble formellement cohérent sans que ça n’enlève rien à la singularité de chaque poème. Et puis « faire des rimes » – dans un temps de la poésie où l’on peut presque considérer ça comme « ringard » (alors qu’un outil de poésie, qu’il soit rime, mètre, vers libre, prose, citation, ready-made… n’est jamais daté ou ultra-moderne) – ça conduit, presque « mécaniquement », à explorer différentes configurations. Le poète expérimente et voit ce qui en sort.

 

Au niveau strophique, si la structure 2 quatrains-2 tercets est très fréquente, on remarque quelques sonnets en 3 quatrains-1 distique, un sonnet sans strophes, et même deux sonnets présentant un quinzième vers, séparé dans ce cas par un double slash. On voit là ce qui te rapproche de Roubaud qui, dans ses recueils La Forme d’une ville… et Churchill 40… présente une grande variété de présentations du sonnet.
Mais, également comme Roubaud qui dès son recueil proposait des « sonnets courts », « sonnets interrompus », « sonnets en prose »…, tu vas plus loin dans la transgression ludique avec un sonnet d’1 quatrain-2 distiques et un sonnet, performatif, de trois vers… Comme tu le dis dans l’un de ces cas-limites : « le poème · il est méchant · il fait rien comme il faut il est vide en son chant · il se fout de lui-même […] »  Comment justifies-tu que ce sont bien des sonnets ?

Je précise que les sonnets de 3 quatrains et 1 distique sont bien une forme « attestée » dans l’Histoire puisqu’il s’agit de sonnets « shakespeariens » (anglais, quoi ! de formule ABABCDCDEFEFGG). Et, de manière plus générale, oui, encore une fois, l’influence de Roubaud est patente…
Ta question de la justification est difficile mais elle vaut le coup qu’on essaye d’y répondre !
Une réponse possible est : ce sont des sonnets parce que je dis que ce sont des sonnets !
Tous les poèmes participent de cette réflexion sur la forme, qu’ils la respectent ou s’en éloignent. Ce n’est pas nouveau. Je suis sûr qu’au cours des siècles, de nombreux poètes ont joué avec les limites du sonnet. Ce « sonnet court » que l’on trouve dans , Jacques Roubaud l’a trouvé chez Gerald Manley Hopkins, par exemple. Et on peut penser aussi à des livres comme Un test de solitude d’Emmanuel Hocquard, sous-titré « Sonnets » et constitué de poèmes de 14 lignes. On pourrait trouver que la parenté formelle est mince mais il me semble que Hocquard a bien compris que le sonnet est aussi un espace poétique et mental qui oriente l’écriture du poème. Il y a un « effet sonnet » sur le poète et son lecteur, une sorte de tempo particulier, quelque chose qui se déploie et se résout d’une manière très spéciale.
S’éloigner de temps à autre des formes canoniques du sonnet, c’est l’interroger, et contribuer à sa vie, son histoire (parce que bien sûr, même si une forme est potentielle, si personne ne met en jeu cette potentialité, elle meurt).
Le sonnet de 3 vers auquel tu fais allusion fait aussi écho à une réflexion célèbre (à l’Oulipo !) de l’oulipien Jean Queval qui a déclaré un jour écrire un sonnet avec, de temps à autre, des alexandrins du type « Le train traverse la nuit » ! En quoi ce vers est-il un alexandrin ? En quoi un poème de 3 vers est-il un sonnet ? On est là, selon moi, au cœur de la réflexion sur la Potentialité.

 

La réflexion de Queval est au moins connue des lecteurs de Moments oulipiens, puisque Roubaud en parle  comme d’ « un moment inoubliable », bien qu’il n’y ait pas assisté. Tu as d’ailleurs fait une communication, à  l’un des Jeudis de l’Oulipo, sur un sonnet de Queval qui aurait contenu cet alexandrin, et comme ce sonnet n’est pas resté, tu métaphorises : ce sonnet, c’est une boîte dont nous ne savons pas exactement ce qu’il contient. Le 26e fascicule de la Bibliothèque oulipienne, de Roubaud encore, qui a pour titre cet alexandrin, propose la réalisation d’un « sonnet de longueur variable » (SOLVA). Dans ton sonnet de trois vers, tu évoques un monde parallèle où tu « conçois des sonnets de tailles différentes ».
Considérant tout cela, je relis le premier vers de ton recueil, « c’est une boîte se souvenir » : peut-être que ça n’a rien à voir, mais je me demande si tu désignes ce « moment inoubliable » dont tu te souviens aussi alors que tu n’étais pas né. Autre monde parallèle, la boîte noire collective de l’Oulipo ? D’ailleurs, dans ce même premier sonnet, où tu parles de réincarnation et de surnaturel, tu dis « à dos de cheval » et je lis « à dos de Queval ». Je délire ?

Oui ! (ha ha !) À mon avis, cela veut surtout dire que j’aime beaucoup utiliser le mot « boîte » dans ma poésie. Concernant le sonnet de Queval, je fais précisément référence à l’expérience dite « du chat de Schrödinger », qui se passe dans une boîte…
Le moteur de ces sonnets, c’est la rime, que j’ai voulue la plus spontanée, la plus naïve possible. Cela veut dire que j’ai essayé de jouer avec ce qui me passait par la tête. Je « pense » très peu : c’est rythmique, musical et lié à une… imagerie.
Mais ce que j’aime dans ton interprétation « délirante », c’est ce que j’apprécie de manière générale dans la lecture que chacun peut faire d’un poème : s’en emparer et lui donner un « sens » intime, personnel, qu’il n’a pas forcément au départ, quelque chose qui n’était pas du tout dans la tête du poète. Le poème devient un objet autonome, qui dit quelque chose à chacun de ses lecteurs, mais cette chose n’est pour aucun d’eux jamais exactement la même. Ainsi, toi par exemple, tu connais bien l’Oulipo et la poésie, tu me poses des questions sur mon travail et lis donc forcément le poème sur cette longueur d’onde-là, si je peux dire ! Voilà : ce que je souhaite, c’est que mes poèmes aient plusieurs longueurs d’onde.

 

Sur le site des éditions de l’Attente, ton recueil est sous-titré : « mécanique de précision ». L’un de tes sonnets évoque la « science de poche », l’ « atomisation ». On distingue en effet un rapport entre cette science du petit et tes sonnets où, aplatissant, tu miniaturises et crée une nouvelle dimension. On croise d’ailleurs de nombreuses petites choses dans ton recueil. Il y est aussi question de physique, de gaz et de métaux. Mais tu évoques aussi l’infiniment grand : astronomie, astéroïde, essais en soufflerie jusqu’à la science-fiction avec une « machine à remonter le monde ». Question calibrée pour l’oulipien : quel lien fais-tu entre la potentialité littéraire, poétique, et celles des sciences ?

Le  lien que je fais est celui de l’expérimentation, d’une sorte de rigueur formelle qui n’empêche pas une exploration des limites (du langage d’un côté, de l’état des connaissances de l’autre). Si on n’essayait pas d’ouvrir de nouvelles voies de recherche, inhabituelles… eh bien, rien ne s’inventerait jamais, il me semble. Notre vision du monde ne bougerait pas. Bien sûr, entre science et poésie, il y a aussi énormément de différences : la validation d’une « expérience » ne se pose pas du tout dans les mêmes termes, je crois. Mais il me faut être prudent parce qu’en fait je suis plutôt ignorant dans ce genre de choses.

 

Parallèlement au monde scientifique et à celui des petites choses du quotidien, tu as aussi un intérêt pour le mystérieux, le merveilleux. On perçoit dans tes poèmes une vision du monde enfantine. Non seulement tu parles de toboggan, de magie, de jouets mais tu interroges aussi le monde naïvement (« qu’est-ce que c’est un nuage », « qu’est-ce que c’est qui est joli »), tu emploies des termes enfantins (« méchant », « fastoche »…), tu t’adresses à un bébé. Tu disais tout à l’heure que tu avais un rapport naïf à la forme : l’as-tu aussi par rapport au monde ou cherches-tu cette vision enfantine ? Un oulipien est-il un grand enfant ?

Dans ce livre-là, oui, je revendique clairement un rapport au monde très naïf. Mais, encore une fois, c’est le procédé de composition, le travail sur la rime qui détermine en grande partie cette naïveté. Et concernant ces thématiques (la science, le merveilleux) que tu décèles dans les poèmes, je pense qu’elles n’existent que dans une tension, une dualité avec autre chose, pour créer du contraste dans la langue (par ses lexiques, ses différents niveaux) : le « savant » et le « naïf », le « moderne » et « l’archaïque », le « pur » et « l’impur », le « beau » et le « laid », le « matériel » et « l’immatériel » (voire le « spirituel »), etc. D’ailleurs, les deux exemples que tu cites, si on les complète par le vers qui les suit dans le poème, parlent directement de ça : « qu’est-ce que c’est un nuage · une cabine de pilotage » (l’immatériel classiquement poétique / l’ultra-matériel du monde moderne a priori pas « poétique » pour deux sous) ; « qu’est-ce c’est qui est joli · et qu’est-ce que c’est qui est laid · comme objet » (sans commentaire).
Oui, un oulipien est un grand enfant. Mais, de manière générale, l’homme est (ou devrait toujours être) un grand enfant. Comme dit mon ami Jacques Jouet [sic] (de l’Oulipo) : « Regardez un enfant jouer. Pour lui, c’est la chose la plus sérieuse au monde. »

 

Dans le poème, tu parles souvent du poème. Mieux : tu en parles comme d’une personne, « mais c’est pas moi c’est le poème », « il est méchant » et tu t’adresses même directement à lui. Le poème se fait-il tout seul ?

Non, mais comme je l’ai dit plus haut, une fois qu’il est imprimé et entre les mains de ses lecteurs, il peut vivre sa vie de manière autonome. Ce que tu dis, sur le fait que je parle du poème comme d’une personne, m’intéresse beaucoup, parce que je n’y avais pas pensé en ces termes auparavant. Mais c’est exactement ça ! Et même plus : dans certains poèmes, je parle de (à des) personnes « réelles » et on peut aussi considérer que je parle du (au) poème. Il y a un flou (une fois de plus !) dans l’interprétation qu’on peut faire de ce qui est écrit. Cela tient peut-être au fait qu’il n’y a pas, d’un côté, ce qui arrive dans la « vraie vie » et, de l’autre, l’écriture poétique. Écrire des poèmes, c’est aussi intime que le reste, ça fait partie de ma vie. Il n’est pas étonnant, que tous ces éléments se télescopent, se confondent. Dans le dernier sonnet du livre, par exemple, ce n’est que par le dernier vers qu’on comprend que je m’adresse au poème lui-même, mais « poème » pourrait aussi bien être une image pour qualifier une personne bien vivante, qui sait ?

 

Ce qu’il y a de plus frappant dans tes sonnets, c’est le non-sens. Un non-sens qui n’est sans doute pas sans rapport avec ta relation au monde et la vision enfantine dont nous avons parlé, ni avec l’autonomie de la machine langage. Il y a en effet une logique déconcertante, des raccourcis étonnants, du coq-à-l’âne, associations schizophréniques de mots … Peux-tu nous parler de ce plaisir, ou de cette nécessité du non-sens ? Est-ce aussi pour cela que dans un autre recueil récent, Re- – que je n’ai pas encore lu – tu explores la forme médiévale du fatras ?

Concernant Re- (que tu dois lire absolument ! hé hé !), oui, tu as raison, j’ai utilisé le fatras parce que c’est une forme qui, d’après ce que j’ai lu, entretenait une relation étroite avec le non-sens. Dans ce livre, écrit beaucoup plus récemment que 33 sonnets plats, j’ai aussi travaillé sur la rime (et le mètre également, cette fois-ci) mais je les ai « masqués » en quelque sorte : j’ai bougé les vers pour créer du faux vers libre. Cela produit donc une sorte de polyrythmie – mais c’est difficile à expliquer sans le montrer. Les poèmes de Re- sont assez abstraits parce qu’ils ne sont que des « reflets », des réflexions poétiques du livre lui-même à un moment donné, comme si on regardait toujours de la même fenêtre le même paysage mais à des années de distance et dans des conditions météorologiques radicalement différentes ! Re- est un livre réflexif. Les poèmes sont sur les pages de droite, et sur les pages de gauche il y a une sorte de journal de bord constitué de fragments tirés des articles que j’écrivais sur mon blog pour préparer le livre (j’ai recyclé le matériau de mon carnet de notes, quoi !). Je trouvais amusant de confronter prose et vers de cette manière, de mettre en regard le travail du vers et une langue plus brute, faite de prélèvements.
De manière plus générale, et pour répondre à ta première question, je pense que le sens, en poésie, n’est qu’un paramètre parmi les autres : forme, rythme, sons, images (liste non exhaustive)… Je travaille avec lui, souvent, mais j’aime aussi m’en détacher. Et laisser le soin au lecteur de s’en préoccuper à ma place (voir plus haut) ! La poésie, comme art du langage, permet en effet de jouer avec toutes les dimensions de celui-ci. Et je crois que le non-sens, l’abstraction, sont les résultats de ces jeux. Cela a pour moi à voir, d’un côté, avec la musicalité (rythme, sons) – et pour quelqu’un qui, comme moi, est un passionné de musique, la plasticité des lettres, des syllabes, des mots, la manière qu’ils ont de sonner et de s’articuler rythmiquement est aussi importante que le sens qu’ils véhiculent – et, d’un autre côté, avec la capacité de la langue à générer des images très diverses, abstraites ou hyper-réalistes, comme cela peut exister dans d’autres arts. Et je me dis que ces autres voies du langage donnent au lecteur à penser, à ressentir tout autant que si lui était livré du « sens » directement assimilable. Et on peut espérer que cela lui donne à penser différemment et modifie (un peu) son rapport au monde.

 

Quelques liens :
— Le blog de Frédéric Forte : poète⇔public
— ses livres aux Éditions de l’Attente
— un autre entretien avec Frédéric Forte, par Sébastien Smirou : 1 & 2
— le site de l’Oulipo
— le numéro de la revue Formules consacré au « sonnet contemporain »

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