Douzième entretien avec le Poète

Written by Gregory Haleux

— Comment est faite une rose ?
— Une rose ? ah non, la rose, elle vient dans les jardins, dans les palais. Les dames s’en servent.
— Comment c’est-il fait ?
— Y en a des rouges et blanches.
— Dessinez une rose sur ce papier.
— (Il prend le crayon). Mais il faudrait de l’encre.
— Non, c’est un crayon.
— Il n’y a pas d’encre (Il commence à écrire le mot : Rose).
— N’écrivez pas le mot, dessinez une rose.
— (Il écrit de nouveau le mot. Répétitions de la question : il écrit ainsi cinq fois le mot).
— Non, dessinez-en une.
— Je ne pourrai pas.
Pendant que je redige mes notes, il continue à parler de palais, de fleurs, et à répéter qu’il est arrivé au dernier degré.
— Comment est faite une feuille d’arbre ?
— Ah, les feuilles d’arbre, les voilà (il rit en regardant la fenêtre). Tristes, en ce moment-ci, pleines de neige… Ah, on va manger dans une demi-heure.
— Dessinez ici une tasse à café.
Il entreprend indéfiniment, malgré mes instances, d’écrire le nom, au lieu de dessiner l’objet. Quand enfin, après une dizaine d’explications, il comprend ce que je lui demande, il répond.
— Je ne peux pas. La rose, c’est rouge. La tasse à café, c’est blanc. Et puis c’est rond.

 

[in Dr. G. Revault d’Allonnes, L’Affaiblissement intellectuel chez les déments.
Librairie Félix Alcan, 1912. p.243]

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