Entretiens avec le Poète

Written by Gregory Haleux

Premier entretien

 

— Bonjour, André.
— Bejon, bejour.
— Comment t’appelles-tu ?
— Pelles-tu.
— Pourquoi pleurais-tu ?
— Pleurais-tu.
— Veux-tu un bonbon ?
— Bonbon.

 

Deuxième entretien

 

— Qu’est-ce que tu as fait ce matin ?
— Ce matin.
— Tu as garni le poêle.
— Garni le poêle.
— Veux-tu du pain, Ric…
— Du pain, Ric…

 

Troisième entretien

 

— Tu vas me raconter, Corn… ce que tu as fait aujourd’hui.
— (sur un ton pleurard) Oui, mais j’aurai du pain.
— Pourquoi ? Je voulais te donner des bonbons, tu préfères donc le pain aux bonbons.
— Oui.
— Tu n’aimes pas les bonbons.
Je n’aime pas les bonbons.
— Qu’est-ce que tu as fait ce matin.
— Je n’ai rien fait… Qu’est-ce que tu as fait… Qu’est-ce que tu as fait… Je n’ai rien fait… Je n’ai rien fait de mal.
— Il fait mauvais aujourd’hui, tu préfèrerais le beau temps.
— Oui, je préfèrerais le beau temps.
— Écoute-moi.
Écoute-moi.
— Écoute-moi.
Écoute-lui… j’écoute.

 

Quatrième entretien

 

— Bonjour.
— Bonjour.
— Veux-tu parler ?
— Je ne veux pas parler.
— Je t’aurais donné cependant du pain.
— Du pain.
— J’en ai donné à Corn…
— Donné à Corn…
— Puisque tu ne veux rien dire, pars donc. C’est bien, Sim…
— (très bas) C’est bien, Sim…
Et comme ne songeant plus à lui, je priais Corn… présent de chanter : Au clair de la lune, ce qu’il fit sans difficulté, Sim… se mit à chanter, répétant les paroles de Corn… et ils continuèrent un instant cet étrange duo.

 

Cinquième entretien

 

— Bonjour, Dug…
— Bonjour, Dug…
— Comment vas-tu ?
— Comment vas-tu.
— Tu n’as besoin de rien ?
— Tu n’as, tu as… besoin de rien.
— Tu as bien dîné.
— Monsieur, j’ai bien dîné.
— Tu t’es fait mal au nez.
— Tu t’es fait mal. Oui, monsieur, je me suis fait mal.
— Comment t’es-tu fait mal ?
— Parce que suis foutu par terre… parce que… Comment t’es-tu fait mal.

 

Sixième entretien

 

— Comment t’appelles-tu ?
— Ta pu tu oui.
— Ton nom ?
— Ton nom, oui.
— Comment ?
— Comment ?
— T’appelles-tu Marthe ?
— Ma, ça pu oui.
— Quel âge as-tu ?
— As-tu oui.

 

[D’après Julien Noir, Étude sur les tics chez les dégénérés,
les imbéciles et les idiots
. Félix Alcan, 1893. pp.108-119]

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *